UN PAS VERS LA JUSTICE LINGUISTIQUE
Une partie essentielle de la construction d'un espace féministe international tel que le Feminist Leadership Hub consiste à reconnaître les structures qui ont rendu de tels espaces inaccessibles à de nombreuses personnes : les frais d'inscription ou de participation aux espaces virtuels ou physiques, les restrictions de visa limitant les déplacements, les fuseaux horaires dans lesquels se déroulent les événements en ligne, et, bien sûr, la langue.
L'anglais étant la langue commune du consortium du Hub (FAIR SHARE of Women Leaders et One Future Collective - situation elle-même issue du colonialisme britannique en Inde), nous savions que l'anglais serait la première langue de travail du Hub. Ceci constituait déjà une limitation car ayant une incidence sur les personnes qui pouvaient participer à la phase de conceptualisation. Mais nous ne disposions malheureusement pas des ressources nécessaires pour engager des équipes d’interprètes et de traduction pour ce processus.
Nous nous sommes engagé⸱e⸱s à œuvrer en faveur de la justice linguistique au sein du Hub et à collecter des fonds à cet effet, et nous y sommes arrivé⸱e⸱s! À la fin de l'année 2023, nous avons entamé un partenariat d'un an avec Alliance for Gender Equality in Europe qui nous a permis de consacrer des ressources à l’interprétation et à la traduction.
Mais l'obtention de ressources n'était qu'un début : nous devions dès lors décider quelle(s) langue(s) intégrer dans le Hub - une décision qui s'accompagnait de nombreuses politiques et dynamiques de pouvoir car elle jouerait un rôle majeur dans le choix des communautés qui pourraient ou ne pourraient pas participer au Hub. Alors comment avons-nous pris cette décision ?
Notre processus
Nous avons remarqué que plusieurs grandes organisations féministes internationales telles que AWID, Mama Cash et l'Alliance pour les Mouvements Féministes proposaient au moins le français et l'espagnol, probablement parce qu'elles couvrent de vastes zones (Afrique francophone et Amérique du Sud et centrale, respectivement). Mais nous ne pouvions nous empêcher de nous poser la question suivante : si la plupart des initiatives féministes faisaient le même choix, qui était exclu des conversations et des communautés internationales ?
Nous avons envisagé de déléguer des recherches sur cette question, mais en raison du manque de ressources, il fût rapidement évident que nous devrions faire le plus de recherches possibles nous-mêmes. Cela impliquait deux choses : échanger avec d'autres initiatives/organisations féministes internationales qui travaillent dans plusieurs langues, et s’adresser directement à nos communautés.
Une recherche sur les langues les plus parlées nous a amené à décider de collecter des données non seulement sur le français et l'espagnol, mais également l'hindi, l'ourdou, l'arabe et le russe. Nous avons choisi de ne pas inclure le chinois en raison des restrictions sur l'activisme féministe et l'utilisation de l'Internet dans la région, qui pourraient rendre le Hub inaccessible pour des raisons autres que linguistiques.
Le Hub étant un espace participatif et dirigé par la communauté, nous avons commencé par demander aux membres de notre communauté pilote dans quelle deuxième langue iels souhaiteraient voir le Hub fonctionner. Les avis furent collectés par le biais de sondages au sein de la plateforme et de publications invitant les membres à nous contacter directement à travers l’adresse mail du Hub. Nous avons également interrogé la centaine de membres inscrits sur la liste d'attente avant le lancement public du Hub.
Cependant, nous voulions également atteindre les membres potentiels du Hub, et pas seulement les membres actuels. Pour obtenir davantage de perspectives, nos organisations One Future Collective et FAIR SHARE ont toutes deux organisé des sondages sur leurs réseaux sociaux.
Le temps de décider
Toutes ces données ont été rassemblées et ont mené aux résultats suivants, par ordre de popularité : français, espagnol, arabe, hindi, ourdou et russe. Bien que le français et l'espagnol soient apparus comme les plus populaires, nous nous sommes senti⸱e⸱s poussé⸱e⸱s à ne pas nous contenter de suivre le chemin le moins fréquenté et à envisager de donner explicitement la priorité à un public souvent laissé de côté. Il restait donc une décision à prendre : choisirions-nous le français ou l'espagnol comme deuxième langue, et quelle serait la troisième langue du Hub ?
En fin de compte, la première décision était pragmatique : l'équipe de projet compte une personne francophone qui peut réviser les traductions et les éditer si nécessaire. Nous avons décidé de reporter la deuxième décision, également pour des raisons pragmatiques : tenir les rencontres communautaires du Hub dans une autre langue signifiait que nos communications externes devaient également être bilingues, une transition qui coûterait déjà beaucoup en termes de capacité à notre équipe de projet. Nous avons donc décidé de commencer par le français afin de pouvoir intégrer les enseignements tirés de ce processus dans l’éventuel déploiement d’une troisième langue plus tard.
Conclusion
La langue est certes un élément clé de l'inclusion, mais pas le seul. Il ne s'agit pas seulement de permettre à des groupes précédemment exclus d'accéder à quelque chose, mais également d’avoir la volonté de changer cet espace en conséquence. Nous nous engageons à reconnaître et à faire de la place pour les différentes interprétations et pratiques du féminisme qui découlent des différents contextes géographiques. Après tout, c'est dans cette optique que le Feminist Leadership Hub a été créé : pour être façonné par ses membres afin de devenir un outil qui reflète et sert véritablement leurs besoins et leurs souhaits.
Nous commettrons certainement des erreurs en cours de route, mais nous sommes enthousiastes de nous lancer dans cette aventure multilingue et d'apprendre de vous et avec vous. Si vous avez des questions, des réflexions ou des retours, n'hésitez pas à nous contacter à l'adresse suivante : [email protected]!